J’ai fait un cauchemar dans lequel j’étais dans une grande marmite ovale et je donnais sans le vouloir au cuisinier avec des dreadlocks qui me touillait avec une cuillère en bois toute ma fortune personnelle qui s’élève à 152 000 euros et que je garde bien précieusement sur mon compte en banque.

Résumé de l’épisode 2. Le premier duel opposant Luc Léger, chaman-thérapeute à Maître Adebo Constant, escroc béninois proposant « une bagatelle » de 700 000 $ s’est soldé par une victoire éclatante du faux notaire : invoquant les anges pour mettre en confiance son adversaire, il l’a ensuite mis K.O grâce à une rhétorique directement empruntée à l’univers mystique des grands contes africains. Luc Léger trouvera-t-il les ressources pour ne pas se faire escroquer ? Pigeon vaillant contre cyber-braconnier, découvrez le troisième épisode du récit de Luc Léger. 

***

Sonné par cette défaite cuisante je fus rapatrié en urgence au pigeonnier du bois de Meudon. « Plus de peur que de mal » me rassura le médecin corbeau, je m’en sors avec quelques plumes emmêlées et le bec égratigné. Et pourtant la blessure était bien là et elle portait un nom : la honte de la défaite.

Maître Constant était un adversaire véloce rompu aux palabres des grands conteurs africains, un adversaire qui me rappelait combien il était facile d’être rattrapé par sa condition de pigeon ordinaire pour se faire déplumer de l’intégralité de son compte en banque. Je me retirai dans la forêt et décidai d’invoquer un vieil ami disparu depuis hélas trop longtemps, le grand maître Igor Vaselinoku de Sibérie. Il trouva les mots justes, de ceux qui apportent à la fois courage et réconfort. Avant de disparaître il m’indiqua le chemin à suivre : « Pour vaincre ton adversaire, utilise ses armes ».

Enivré par mes propres paroles je pouvais sentir la salive translucide de Maître Constant couler sur ses lèvres. Mais il était également de mon devoir de lui annoncer l’étrange expérience dont j’avais été le témoin, ma rencontre spectaculaire avec une divinité Vaudou. Car toute rose a des épines, et pour me pigeonner, Maître Constant devra transgresser plusieurs tabous.

Cette nuit, je dois vous l’avouer et je vous prie de m’excuser pour ce doute, mais je suis Humain et fragile, Dieu me le pardonne, j’ai eu un mauvais pressentiment. J’ai fait un cauchemar dans lequel j’étais dans une grande marmite ovale et je donnais sans le vouloir au cuisinier avec des dreadlocks qui me touillait avec une cuillère en bois toute ma fortune personnelle qui s’élève à 152 000 euros et que je garde bien précieusement sur mon compte en banque. Je me suis réveillé en sursaut, les gouttes de sueur ruisselaient sur mon visage, ça faisait des grumeaux car j’ai la peau sèche. J’ai compris que Belzébuth était en train d’essayer de me faire douter de l’Amour et de la Confiance. Pour l’éloigner de ma maison, je suis parti chercher dans la forêt un ragondin pris dans un de mes pièges. Je l’ai sacrifié en toute dignité offrant son sang jaillissant à la lueur des étoiles. Mon grand maître spirituel et défunt Igor Vaselinoku m’avait enseigné une technique secrète pour éloigner définitivement le Malin, que je ne devait utiliser qu’en cas d’extrême danger imminent. J’ai récité ses incantations secrètes une fois, il ne s’est rien passé, j’ai recommencé et une chose Merveilleuse s’est produite, la preuve irréfutable de l’existence du Bien. Mon Maître et défunt le grand sorcier Igor Vaselinoku m’a parlé, mais il n’était pas seul. Il m’a dit qu’il était accompagné d’un esprit supérieur que je devais appeler la Divinité Kokou. C’est un nom bizarre mais croyez-moi je ne l’ai pas inventé même si je n’en n’avais jamais entendu parler avent, c’est très étrange. Cette divinité m’a parlé dans une langue inconnue, et pourtant, oui pourtant, je la comprenais, comme la révélation du Saint Esprit dans la Bible (…).

Je décidai de dévoiler à Maître Constant le contenu du message de la divinité Koukou dont j’appris plus tard qu’il était chez les vaudous un terrible dieu guerrier. Sa parole brève était un avertissement adressé aux chasseurs de pigeons inexpérimentés.

Croyez le ou nom, Maître Adebo Constant, et je sais que cela peut paraître étrange à un juriste aussi rationnel que vous l’êtes, formé dans les grandes Universités et évoluant en robe d’avocat dans le monde ordonné des couloirs du Droit et du Tribunal, mais cette Divinité Kokou m’a transmis un message qu’elle m’a dit de vous transmettre, et qui disait:  » Le crayon de Dieu n’a pas de gomme, je suis son encre indélébile, ami du grand Igor Vaselinoku et protecteur de son disciple Luc Léger. »
Je n’ai pas tellement compris le sens de ce message même si je comprenais les mots prononcés dans cette langue inconnue, mais je suis rentré chez moi prendre une douche pour enlever le sang du ragondin qui avait tâché mon pantalon et ma chemise et je me suis couché.

En guise de bonus, je m’offre le luxe de tester le sens moral de mon interlocuteur et, tel un serpent dans le jardin d’Eden, je lui tends une pomme bio rutilante.

(…) J’ai beaucoup réfléchi ce matin, Maître Constant, peut-être un peu trop, mais je pense qu’il serait juste que je partage avec vous davantage de cet héritage que vous me proposez, non pas 20% de commission pour vous, mais 30% est plus juste. Tant pis, je ne donnerai pas d’argent aux associations de charité et les 10% qui sont pour eux vous reviendront. Votre professionnalisme mérite d’être récompensé car il honore la Parole du Seigneur. Je sais que votre éthique professionnelle et votre sens du Devoir vous pousseront à refuser cette offre, c’est tout à votre honneur, mais j’insiste. Réfléchissez-y bien, il n’y a pas de mal à voir son travail récompensé lorsqu’il est mérité comme vous les faîtes en ce moment. (…)  Je sais que le Maître et défunt le grand sorcier Igor Vaselinoku de Sibérie veille sur nous et vous a permis grâce à Dieu de me retrouver. La Divinité Kokou à ses côtés me protège, nous protège, car nous ne faisons désormais qu’un dans ce projet, vous et moi.
Bonne continuation,

Maître Constant change alors de ton. Il semble avoir compris qu’il a affaire à un client pistonné par les dieux et se montre désormais professionnel. On ne plaisante pas avec le divin.Le lendemain matin je reçois de la banque BOA les premières instructions pour recevoir mon virement.


L’affaire progresse, je sens que nous sommes désormais sur un pied d’égalité et que chaque seconde me rapproche du pactole. En dépit de cette réussite je n’arrive pas à être satisfait car l’argent sans spiritualité n’a pas de sens, et la lecture de ces messages me déçoit. Maître Constant et la banque BOA ne font visiblement plus l’effort de me séduire à coup de palabres enchantées. Serais-je pour eux un territoire déjà conquis ? Si je dois donner mon 06, je veux que cela soit mérité ! Pour mettre à l’épreuve la motivation du chevalier Constant, je l’invite à résoudre un test de patience et de logique. Je n’enverrai mes données personnelles à la banque qu’à condition que le test soit réussi. J’envoie à Maître Constant son épreuve, un unique paragraphe indigeste dans lequel tout s’emmêle comme les alluvions du fleuve Niger. Le deal vous semble honnête ? Alors bonne chance soldat !

Bonjour Maître Constant,
J’ai une excellente nouvelle à vous annoncer, que les Anges soient loués! La banque vient de me répondre et m’a fait une série de demandes de formalité pour conclure cette affaire de manière légale, je vais m’en occuper quand je serai rentré chez moi car je suis actuellement en train de soigner un diplomate russe venu spécialement en France pour que je m’occupe de sa prostate grâce aux enseignements de mon Maître et défunt le Grand Igor Vaslinoku dont il a entendu dire que j’étais le seul à connaître les formules et recette secrètes.
Taquin, je soumets à mon adversaire à un test de logique. Encore secoué par son histoire de pourcentages obscurs, je lui propose un avenant à son montage financier tout en diluant les clauses dans des ramifications inutiles :
(…)  J’ai besoin de savoir à l’avance si vous acceptez de recevoir non pas 20% des 700 000 euros de l’héritage mais 30% comme je vous le propose pour récompenser votre travail mérité, une relation de confiance ça se respecte et je sais que vous allez refuser par déontologie et éthique mais j’insiste, réfléchissez bien. Répondez-moi car si vous me dites oui je pourrais retourner rapidement à l’association de charité que j’avais visitée pour qu’ils trouvent quelqu’un d’autre pour guérir les enfants. D’ailleurs, j’en profite pour vous demander si vous ne connaissiez pas un marabout pour soigner à distance ces enfants. Mes pouvoirs de chaman de Sibérie sont hélas inefficaces contre leur Définocytose et si je donne à vous l’argent qui aurait permis de les guérir avec un chirurgien, soit 10% des 100% du montant que j’avais initialement imaginé diviser en 5% pour une association de charité et 5% pour une autre association de charité avant de me dire que c’était mieux de regrouper les 5% et 5% ensemble pour donner des moyens plus importants, quand bien même vous pourriez faire cela de votre côté, 5% soit 35 000 euros pour une association de charité et 5% restant, soit également 35 000 euros pour une autre association de charité, il faut que je trouve une autre solution pour ces malheureux enfants qui m’ont fait de la peine (…).
Après de nombreuses digressions ici censurées , je finis par soumettre à Maître Constant une deuxième épreuve, bien plus perfide : la mise à l’épreuve de sa cupidité.
(… ) Voyez-vous Maître Constant, j’organise dans mon complexe thérapeutique en Bourgogne des séminaires d’éveil à la sensualité. Dans ces séminaires il y a beaucoup de mes patientes, entre 27 et 41 ans, qui viennent pour être initiées à la formation intitulée « Voie et Voix », un apprentissage du cri grâce à l’usage du canal utérin. C’est dans ces rares occasions, deux fois par an, que j’ai l’occasion de relâcher mon flux vital dans ces femmes de bonne volonté que je guide dans l’apprentissage. La formation dure deux jours et je serais très heureux de vous inviter, Maître Constant, comme invité d’honneur pour la prochaine édition du printemps qui se déroulera du 2 au 4 mai 2017. (…)  En écrivant cette proposition, je me rends compte que je ne sais rien de vous, peut-être avez vous déjà une femme aimante qui assouvit avec vigueur vos élans et des enfants multiples, si tel est le cas, pardonnez-moi, je dois paraître à vos yeux comme un homme déviant et malsain, mais sachez que le Tout Puissant protège ce séminaire et qu’il n’est en aucun cas un lieu obscène et déviant, comme on peut malheureusement en trouver en France de nos jours.
La cloche indiquant la fin du deuxième round vient de sonner. Avant de me retirer je rappelle à Maître Constant combien ses réponses au test sont nécessaires pour le bon déroulement de cette affaire.
Je remercie le Ciel pour ces 700 000 euros que je vais recevoir (…). J’attends vos réponses qui j’espère me conforteront dans ce miracle, et (…) me donneront toute la confiance pour envoyer à la banque tout ce qu’ils demandent. (…) Je vous souhaite, Maître Adebo, une bonne continuation.
Maître Constant sera-t-il à la hauteur de mes attentes ? Pigeon vaillant contre cyber-braconnier, la suite au prochain épisode !

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