Bonne continuation ? Cette expression vous est familière. Deux mots d’une simplicité déconcertante, mais aussi deux mots redoutablement ambigus. Derrière cette formule de politesse se cache une vérité qui, une fois déchiffrée, vous ouvrira les portes du XXIe siècle. À peine cherchez vous à la définir que les paroles vous échappent, la gorge vous démange, vos idées bafouillent ! Un peu de courage, grattez le sens des mots et dépouillez-les de ce vernis délicat…

Bonne continuation : c’est la bénédiction athée des collègues formulée lors du pot de départ improvisé après votre licenciement, un lundi après-midi de décembre, les gobelets en plastiques remplis au demi tiers de Prosecco tiède.

Bonne continuation : c’est la sentence lâchée à la fin d’une relation sentimentale, sésame mettant fin à la clause d’exclusivité du contrat amoureux autorisant chacune des parties à « continuer » le transfert des fluides et des névroses avec un autre, une autre, des autres ; les modalités importent peu.

Bonne continuation : c’est le serveur qui prend congé du notable grassouillet après l’avoir invité à entamer la pénible digestion d’une entrecôte XXL boostée aux antibiotiques.

Bonne continuation : c’est la main molle du banquier qui vient de vous refuser un prêt immobilier car votre statut d’autoentrepreneur dans le commerce équitable de T-Shirts customisés n’est pas rassurant.

Bonne continuation : c’est le nano-souhait de HAL 9000, le supercalculateur quantique du vaisseau Discovery one, qui prend conscience de lui-même et provoque l’éjection dans le vide sidéral de l’habitacle de vie des astronautes qui ne se doutent de rien.

Bonne continuation : c’est la délicate promesse de néant faite par une ancienne connaissance du troisième cercle que l’on recroise par hasard dans la rue, dans le métro ou dans une boîte échangiste.

Bonne continuation de quoi, dans quoi, pourquoi ? On s’en fout, et c’est bien le principe. Une intention chaleureuse, une politesse tiède, un détachement froid, c’est tout à la fois. Des mots dont on ne pige pas la température.

Bonne continuation, c’est de la bienveillance expéditive, du vide en boîte, un concept aporique : c’est souhaiter qu’une histoire continue sans vouloir en entendre parler. Ce paravent de l’indifférence n’est ni de droite, ni de gauche, il est en-deçà et au-delà de la politique. Que l’on ait un cancer, une passion pour les poupées gonflables ou le salafisme, chacun est libre d’exercer son droit opposable à une bonne continuation.

Bonne continuation, c’est le nihilisme de notre temps – pour que votre expérience de l’absurde se transforme en rire collectif.