Une salle de projection. Au premier rang, trois oligo-paléontologues assistent, immobiles, à une animation pédagogique.
» … une seule goutte de ton sang contient des milliards de brins d’ADN, les fondations de la vie. Il arrive que des animaux disparus depuis des millions d’années, comme les cadres sup, laissent des traces pour qu’on les retrouve, il faut seulement savoir où les chercher… Nos savants ont excavé un foyer capitalistique de l’anthropocène appelé La Défense avec de merveilleux fossiles encore équipés de leur montre connectée. Il ne restait qu’à en extraire l’ADN. Comment ? Il y a 100 millions d’années, les moustiques se nourrissaient du sang des cadres sup dans l’univers chaud et confiné du métro. Parfois, le moustique repus se retrouvait piégé dans des flaques d’huile et de mazout qui se sont durcies et fossilisées. Cette résine a attendu des millions d’années jusqu’à ce qu’arrivent les savants de l’Anthropocène-Park ! L’ADN contenu dans le sang du moustique nous a ainsi permis de recréer de vrais… bébés cadres-sup ! C’est en toute sécurité que… »
Des cris d’oligo-femelles et de mineralo-retraités traversent les murs capitonés. Jérémy du Marais de la Tourbe, le chef de la sécurité, mi inox, mi teflon, fait irruption dans la salle de présentation. Il hurle :
« L’enclos des chefs de projets n’est plus électrifié, les N+12 se disséminent dans le parc, ils communiquent par mail pour libérer le CEO… On a perdu le contrôle des cadres-sup, il faut évacuer l’île au plus vite… !!! »
Si ce prochain blockbuster vous semble peu crédible, attendez d’avoir lu la suite ! Car tandis que la RATP stigmatise dans ses campagnes de sensibilisation le jeune bobo resquilleur multirécidiviste, un passager clandestin bien plus dangereux voyage en toute impunité à vos côtés. Son nom ? Le « culex pipiens », sive le moustique du métro !
Chaleur et eaux stagnantes, de la nuque diaphane de l’étudiant en classes préparatoires aux mollets gras du touriste américain, toutes les conditions étaient réunies pour que l’insecte fasse du métro son terrain de chasse. Mou et flottant comme une méduse aérienne, il est en confiance. « À quoi bon faire preuve de prudence ? se défendrait-il à juste titre, nous sommes si nombreux que pour un moustique d’écrasé, ce sont dix de mes congénaires qui viennent se venger ; ça marche comme ça chez nous. »
Prendre le métro, c’est accepter de s’exposer à un risque que la plupart des usagers ignorent. Actif de jour comme de nuit, hiver comme été, le culex pipiens à de quoi inquiéter. Attiré par le CO2 que vous émettez et les acides gras issus de votre sueur, il se posera en toute discrétion sur votre peau et utilisera sa trompe mobile et pliable à 90° pour pomper vos nutriments.
Est-il vecteur de maladies dangereuses ? Déjà en 2004 la question était posée à l’Assemblée nationale au ministre des Transports afin de savoir « s’il existe une étude sur la dangerosité de cet insecte susceptible d’être porteur de nombreuses maladies et s’il envisage de faire effectuer une démoustication du réseau ferré parisien. La réponse se voulait rassurante : Jusqu’à ce jour, aucun problème spécifique n’a été rencontré en raison de la présence de moustiques. Toutefois, la Régie demande, à titre préventif, à ses prestataires de nettoyage d’appliquer, si nécessaire, un produit spécifique pour une éradication ponctuelle de ce type d’insectes. ». Une étude du 1er septembre 2016 corrobore ces déclarations en démontrant que les moustiques métropolitains ne peuvent pas transmettre le virus Zika. Citoyens, vous pouvez voyager tranquilles !
Est-ce une raison pour ne rien faire ? Si, en France, nous avons horreur des moustiques ce n’est pas pour les maladies qu’ils transmettent mais pour leurs piqûres qui nous hantent plusieurs jours durant. C’est ainsi que depuis 2008 le syndicat Sud RATP déclare la guerre contre les moustiques et demande plus de moyens pour que ses employés cessent de leur servir de smoothie. Ces revendications ne semblent pas avoir convaincu la direction, pour preuve ce spécimen capturé vivant par votre cher bon continuateur en pleine rédaction de l’article (l’insecte a été relâché sain et sauf avant d’être happé par le tourbillon d’un RER tonitruant).
Un calcul simple permet pourtant de se rendre compte du coût que représente pour la société la distraction liée au fait de se gratter. Car qui se gratte ne travaille pas, et ce manque à gagner a de quoi faire réfléchir. Le dernier rapport d’Eurostat place Londres comme la ville où le PIB par habitant est le plus élevé d’Europe. Comment Paris pourrait-elle prendre la tête du classement ? Voici un élément de réponse :
Plutôt que de sauvegarder dans les diptères du métro notre ADN d’homo sapiens obsolète pour semer le chaos dans 100 millions d’années, il serait temps de les éradiquer une bonne fois pour toutes du métro et faire de Paris la ville la plus productive d’Europe !
La guerre économique n’est-elle pas, avant tout, une affaire de moustiques ?