Dans une scène du film I, Robot, le détective Spooner (Will Smith) défie son interlocuteur robotique en l’an 2035. Déboutonnant la singularité de l’Âme humaine, il lui lance avec orgueil : « Un robot peut-il écrire une symphonie ? ». Bonne Continuation vous invite à lui répondre un oui calme et rationnel grâce une écoute à l’aveugle…

(N.B. Vous trouverez les résultats du concours de virtuosité musicale humains contre machines du 21-28 juin 2017 à la fin de l’article).

Comment un circuit imprimé peut-il créer une partition ? Un ordinateur apprend vite. Très vite. Prenez Iamus par exemple, cette intelligence artificielle créée par des chercheurs de l’Université de Malaga. Première étape : le programme commence par constituer une base de données contenant un grand nombre de compositions humaines qu’il compulse avec entrain – un disque dur est décidément plus fiable que le tendre hippocampe des grands mélomanes tétant de la musique classique depuis l’âge de 3 ans. Deuxième étape, la création d’un algorithme partant d’un principe simple de composition : générer des structures musicales de plus en plus complexes, à partir de quelques éléments mélodiques simples. L’algorithme imite les processus de mutation et d’évolution génétique présents dans la nature ; il réarrange ainsi les sources musicales existantes (comme des gènes) pour créer du neuf.  L’avantage ? Au lieu de perdre plusieurs années à pondre la 5ème comme Beethoven, Iamus vous compose une oeuvre audacieuse quelques minutes après le clic inaugural de la souris.

Reste une dernière précaution, celle d’enseigner à Iamus la politesse : « Nous avons informé l’ordinateur qu’il est impossible pour un pianiste de jouer un accord à 10 notes avec une seule main. Nous avons seulement cinq doigts par main » révèle le pianiste et informaticien Gustavo Diaz-Jerez. Et si ce n’était finalement pas les hommes qui brident la créativité artistique ? Posez vous la question.

Bach est mort avant d’avoir pu finir l’Art de la Fugue ; un ordinateur se chargera un jour de finir cette composition de génie. Comme le dit Sham Kakade, professeur à l’Université de Washington, ce qui nous intéresse au fond c’est « l’essence de ce qui fait que Bach sonne comme du Bach ». Et non pas des théories fumeuses sur l’Ame artiste, n’est-ce pas ! Ecoutez donc le dernier tube des Beatles, sorti en 2016: Daddy’s Car. Flow Machines, le John Lennon numérique de Sony, a pompé le son pop des Fab Four en analysant des dizaines de partitions pour nous sortir un nouveau tube. L’heure de la résurrection a sonné !

Vous êtes sceptiques ? Nous vous invitons à passer le test de Will Smith. Ce test est l’équivalent du test de Turing, mais pour les humains. Si vous vous trompez en croyant avoir reconnu la production artistique d’un semblable c’est que vous êtes humain, trop humain.

Parmi ces trois échantillons de musique classique contemporaine, laquelle a été réalisée par une intelligence artificielle en roue libre ? Essayez!

Vous pensez que la musique contemporaine est trop « space » ? Vous souhaitez une autre tentative pour reconnaître vos pairs humains ? Revenons aux classiques avec les chœurs cette fois – ne faut-il pas une sensibilité toute humaine pour faire passer cette jonction entre l’émotion et l’absolu par la patiente domestication du larynx ?

Résultats 2017 du Prix Will Smith de la composition 

Des curieux ont passé le test de Will Smith pour tenter de distinguer l’humain du robot dans un concours de virtuosité musicale du 21 au 28 juin 2017. Courage immense : c’est le moment post-cartésien du « je pense, donc je suis (peut-être) une bonne manifestation de conscience humaine ». Ces lecteurs adeptes de la roulette russe existentielle ont-ils réussi à replanter le drapeau de l’Âme partout dans les territoires conquis où l’on osait contester son autorité ?

Résultats de la première écoute à l’aveugle : la composition symphonique contemporaine.

Vous avez plébiscité l’échantillon 3. Malheureusement pour l’humanité, ce morceau est tiré de An Index of Metal (2003), œuvre majeure du compositeur italien Fausto Romittelli dans laquelle l’auditeur part à la découverte de la matière sonore mouvante alchimique. Une musique qui, pour reprendre les mots d’Eric Denut, spécialiste de Romitelli, compose la parfaite « chorégraphie sonore de nos corps iconiques ». Si le thème des métaux vous a rappelé le Terminator, cette oeuvre reste néanmoins un classique de la musique contemporaine produite par un être organique, sensible et raffiné qui aurait pu être un excellent ambassadeur intergalactique pour représenter l’art Terrien dans de lointaines galaxies.

L’échantillon 2 est tiré de Vortex Temporum (1979) du noble et respectable Gérard Grisey. Cette œuvre-hachoir dépèce les principes de la relativité générale de l’espace-temps afin d’« abolir le matériau au profit de la durée pure » (Grisey). Seulement 18 % d’entre vous ont pensé qu’elle était un cyber-fake. Cet excellent résultat fait de cette pièce l’étendard de l’Âme humaine dans ce classement !

C’est grâce à l’intelligence artificielle de Iamus que le London Symphony Orchestra a pu ravir les oreilles de son audience en juin 2012 avec la composition de l’échantillon n°1. Un musicologue britannique l’a même jugée « artistique et merveilleuse », avant qu’on lui révèle l’auteur (qui d’autre qu’un humain pour commettre une erreur d’analyse avec autant de bonne foi). Vous n’avez été que 32% à démasquer Iamus, même score qu’un placebo.  68 % d’entre vous ont ainsi échoué à reconnaître la production d’un semblable face à celle d’un ordinateur. En ayant échoué à reconnaître l’oeuvre de ses semblables, le test de Will Smith pour la musique contemporaine a été brillamment passé par les lecteurs.

Faut-il en conclure que les circuits imprimés sont des artistes de génie ou, au contraire, que c’est la musique contemporaine qui est totalement inhumaine ?

Si vous êtes de ceux qui optent pour la seconde option, nous vous avons laissé une autre chance avec le test des chœurs : un registre tout ce qu’il y a de plus classique !

Vous faites partie des 46% de ceux qui ont sélectionné l’échantillon 6 comme le potentiel script d’un ordinateur ? Si oui, c’est une monumentale erreur car il s’agit de Oh Gracious Light, une adaptation du Phos Hilaron, le plus ancien hymne chrétien conservé remontant au IIIe siècle. Nos ancêtres pensaient ravir leur Dieu avec cette composition incarnant le meilleur de leur espèce. Un échec cuisant qui oblige à se poser la bonne question : le royaume des cieux appartient t-il aux productions de machine learning ?

L’échantillon 5 est le Dona Nobis Pacem, extrait de la messe en Si Mineur de Bach (prononcez BaRH). Des témoins de bonne foi ont rapporté que le célèbre musicien allemand a fait deux loopings dans sa tombe après que 38% des participants l’ont confondu avec un robot.

On aurait pu prendre l’échantillon 4 pour l’un de ces trésors enfouis enfin retrouvés et pourtant… Seulement 15% des participants ont reconnu dans cette composition la sympathique EMMY (charmant diminutif pour Experiments in Musical Intelligence). Emmy a été programmée pour imiter Bach, et d’évidence l’élève a dépassé le maître ! « La question n’est pas de savoir si les ordinateurs ont une âme, mais si nous en possédons une » conclut avec brio David Cope, son programmateur.

Et vous, possédez-vous une âme ?

Avec un taux d’erreur moyen de plus de 75 %, nous sommes heureux d’annoncer que le lectorat de Bonne Continuation a été majoritairement incapable de reconnaître les chefs d’oeuvre composés par les meilleurs de ses semblables. En se laissant berner par les logiciels mélomanes, ils ont prouvé à Will Smith que la spécificité des hommes est d’abord leur faillibilité, heureux propriétaires d’une âme humaine, trop humaine.

Pour les 25% qui ont vu juste, un seul mot : 2CM36HDm2%1-888 fc. REP45. Ou plutôt « Bonne Continuation », comme disent les humains créateurs de ce site.

Crédit illustration de couverture : Roberto Garcia

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