Je mouille, j’humecte, je bois : tout cela de peur de mourir.

Rabelais, Gargantua

Il est un mal qui guette le citoyen gâté de nos sociétés contemporaines : la solitude. Pour ne pas assécher ses neurones miroirs, une nouvelle tendance est née, le mukbang, ou comment faire d’un plat de nouilles instantanées le nouveau protagoniste d’un film porno hard sans condom.

Né en Corée le mukbang, ersatz bienséant du gangbang, est l’art d’engloutir en direct une quantité astronomique de plats plus ou moins huileux sous le regards éthéré de cyber-followers hapés par le néant. Le mukbanger, ou gourmet exhibitionniste, est encouragé par un troupeau de mukbangés, voyeurs affamés, à persévérer dans son ingestion grâce à un système de dons. Défiant les lois de l’espace et du temps, il est ainsi possible de racketter simultanément plusieurs milliers de convives depuis son 15 mètres carrés à Séoul en filmant sa gloutonnerie live. Proxénètes de leurs propres intestins, certains mukbangers peuvent gagner jusqu’à 10 000 dollars par mois, soit 300 euros l’étron.

À l’instar de chaturbate, site internet dans lequel des individus hétéroclites copulent en direct devant des internautes anonymes, le marché du mukbang a parfaitement transposé dans l’art culinaire l’argus du porno. Croquer en close-up un nugget de poulet se monnaye au même prix qu’un deepthroat, avaler des poulpes vivants en costume de père Noël avec décolleté est aussi prisé qu’une virgin facial cumshot.

 « Ils aiment ma façon de manger du poulet, en particulier la façon dont je finis tout sur l’os, ils aiment vraiment ça… ils aiment ma manière de finir l’os jusqu’au bout »

Bj Wang Joo.

Mais la comparaison avec chaturbate s’arrête là, car le mukbanger est un être raffiné, un tantinet mélancolique. Aristocrate et joueur, il a le mérite de dépoussiérer l’industrie du sexe de son PH acide et de jouer par l’absurde avec notre angoisse de la mort en nous l’exposant dans toute sa nudité. Au cœur de cet abysse philosophale, le foodporn est une vaste marketplace réunissant chaque jour plus de 500 000 spectateurs qui dévorent des yeux les quelques 15 000 animateurs boulimiques appelées « Broadcast Jockies » (dits BJ, comme pour blowjob  (soit la « fellation » pour les rares puristes de la langue française qui soutiennent l’industrie pornographique française).

Payer pour fantasmer sur un glouton narcissique ou espérer l’éternité en archivant son plaisir dans le big data, voyeur ou exhibitionniste, il ne vous reste plus qu’à choisir votre combo métaphysique, are you ready?

Bon appétit, ou plutôt… bonne continuation !

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