« Y’ai un pote qui mé propose de le rejoindre vers 22h pour aller dans une club où il connaît peut-être lé videur qui pourrait me faire entrer, tou veux venir ? ».

Un plan de ce type s’appelle un mauvais plan latin. Il est important de savoir identifier ce traquenard qui ne dit pas son nom pour se prémunir contre ses effets entropiques. Si le mauvais plan latin n’est pas un bon plan, ce n’est pas non plus un simple mauvais plan. Car le mauvais plan, lui, part d’objectifs théoriques qui se heurteront plus tard aux gifles de la réalité (exemple classique : envahir la Russie sans doudounes).

Par-delà le bon et le mauvais plan : enjeux philosophiques

Bon et mauvais plans s’inscrivent dans une tradition européenne qui remonte à l’Antiquité grecque : l’articulation théorie-pratique – d’abord former un plan, puis l’appliquer consciencieusement à une situation donnée. Bien sûr, des obstacles se dresseront dans la réalisation de ce plan, mais la métis, « recherche du succès dans un domaine de l’action » (Jean-Pierre Vernant), est cette ingéniosité pratique qui permet de s’adapter et de soumettre in fine le réel aux buts du sage grec. Par exemple, le jeune politicien en herbe s’initiera secrètement aux multiples modalités de la fellation tout terrain, au cas où il pourrait faire jouer cet atout dans son ascension. De haut en bas, de la théorie vers la pratique : manquer d’application, c’est entrer dans le mauvais plan.

Une seconde approche est proposée par la civilisation chinoise, comme le montre le philosophe François Jullien. Les circonstances étant difficilement prévisibles par les hommes, le stratège chinois ne conçoit pas de plan théorique : il laisse une situation se développer jusqu’à ce qu’il soit en position de force. L’effet désiré se produit alors de lui-même ; la corde de l’arbalète est déjà tendue ? Il suffit de la relâcher. Par exemple, lors de votre voyage en Turquie, vous laisserez un ami de paille boire l’eau du robinet stambouliote si bien que sa tourista l’empêche de vous perturber dans l’exploration de sa charmante copine. Du début à la fin d’une situation qui évolue, manquer d’opportunisme, c’est entrer dans le mauvais plan.

Le mauvais plan latin est remarquable au sens où il dépasse ces deux modèles.

Souvent vagues, les objectifs du mauvais plan latin fluctuent au rythme des envies passagères sans jamais être accompagnées d’une stratégie pour les atteindre. Parce qu’une stratégie, ça manque tellement de romanesque. C’est une attitude méridionale : une confiance totale dans la providence. La providence évidemment n’en ayant rien à foutre. C’est l’imagination enfin libérée de tout effort : la vie est un roman écrit par un auteur inconnu dont on veut croire qu’il va sortir quelque chose digne des meilleurs épisodes de la série Friends. Mais cela finit toujours en remake de série Z, à déambuler sans but tel un zombie de dernière catégorie.

La parole aux faits

Voici un exemple classique du (non-)déroulement d’un mauvais plan latin. Vous êtes un jeune actif installé à Londres depuis quelques semaines pour votre nouveau job de consultant. Vous n’avez pas encore d’amis; vous avez donc décidé, en ce mercredi soir, d’optimiser votre recherche de partenaires sexuels en vous greffant avec votre collègue allemand au groupe d’amis de Maria, votre colocataire espagnole, en Erasmus. L’affaire commence quand Maria et son amie Alicia vous proposent d’aller rejoindre Luigi et Pietro « vers 20h » (comprendre 20h45) dans « le centre ville » pour « aller dîner ».

Mais où exactement, demandent les non-latins (le centre ville fait plusieurs kilomètres carrés)? « On verra ; on leur téléphone quand on y est » répond Maria avec un sourire malicieux, suggérant l’aventure.

Quel restaurant ? « On verra avec Luigi et Pietro ce qu’ils préfèrent, non ? » déclare Alicia avec une autorité d’altruiste ingénieuse.

Et quelle ligne de bus on prend ? « On verra ! Elles vont toutes plus au moins au centre ». C’est du bon sens.

Bref, après avoir récupéré Pietro du côté du British Museum et rejoint Luigi à quelques kilomètres plus loin au Nord, on commence à voir.

Il est 21h33, et on a faim.

« Bon, on va où les gars ? »

« Jé connais oune souper restaurant indien koléen-fusione, c’est à 10 minutes » lance Luigi. Les non-latins construisent un consensus d’urgence, celui qui s’impose dans toutes les situations où l’hypoglycémie attaque les fonctions cérébrales.

Vingt minutes plus tard : « Ah poutain, ils sont felmés. Poultant c’était ouvelt la dernièle fois que jé souis passé à Londles y a tlois ans ».

« Bon, on n’a qu’à continuer dans la même direction, on trouvera forcément quelque chose. » suggère Maria. Et elle ajoute, impératrice suprême et charismatique de la dolce vita décomplexée : « let’s go with the flow ».

Le flow vous emmène vers l’Ouest. Autrement dit, dans les quartiers huppés de la ville. Les non-latins ont bien conscience que tous les 10 mètres franchis dans « la même direction » augmentent de 50 cents le prix de leur future consommation (sauf sur les cocktails : + 1 livre). Mais ils marchent ; ils ont capitulé.

Il est 22h37 dans un pub moite. Une fois les fish and chips ingurgités dans un œsophage lubrifié par de la bière tiède (pour la modique somme de 35 euros au taux de change en cours), les non-latins n’espèrent qu’une chose : que la nuit les emporte.

« Bon, nous on va y aller… » disent-ils pour résumer le dîner de 37 minutes, incluant 10 minutes d’attente pour une table libre.

« Déjà ? » s’exclame Alicia. « C’est dommage, on a prévu d’aller danser quelque part dans l’Est, il paraît qu’il y a de la bonne électro …».

Mais Pietro décoche un large sourire amical. « Allez les filles, je les complend, ils vivent pas comme dans lé Soud. Et bonne continouationne, hein ! » 

Ce soir, les latins forniqueront.

 

Condom statistique pour contourner le mauvais plan latin

Pour ne pas vous retrouver pris au piège d’un mauvais plan latin, voici un modèle mathématique, une boussole de la dernière chance pour fuir dans la bonne direction.

Il est possible de résumer la qualité d’un plan qu’on vous propose sous la forme d’une équation qui pourra être confrontée à vos données empiriques à travers une régression linéaire :

P = (A + B1x + B2x )/4 + e

Où P = qualité du plan, en pourcentage

A = degré de précision de l’heure de rendez-vous

B1 = degré de précision du lieu géographique du plan (exemple : le cimetière Montparnasse)

B2 = degré de précision de l’activité proposée par le plan (exemple : vérifier si les cadavres conduisent l’électricité ou non)

e = le terme d’erreur. En statistique, ce terme représente la déviation entre ce que le modèle prédit et ce qui arrive en réalité.

La variable X correspond au degré de motivation du groupe, en pourcentage (par exemple, si 1 personne sur 5 est motivée pour électrocuter des cadavres au cimetière Montparnasse, cela nous donne une valeur de X=20%).

Si P= 1, alors la qualité du plan est de 100%; chaque variable ne peut dépasser 1 en valeur absolue.

Voici donc à quoi ressemblent une série de plans de qualité variée (la ligne bleue représente notre modèle, qui prédit assez bien la qualité des différents plans) :

Comme vous l’observez,  la qualité du plan augmente proportionnellement au degré de motivation du groupe (étant données les coefficients de précision de l’heure de rendez-vous, de lieu et d’activité).

Or, dans le cas des mauvais plan latin, le graphique prend une allure caractéristique à la blancheur immaculée :

Eh oui. La valeur du plan reste constamment à – 6 %, indépendamment du niveau de motivation.

Explications : il n’y a pas d’heure de rendez vous (donc A=0), pas de lieu défini (donc B1=0), pas d’activité définie (donc B2=0), ce qui fait que toute la motivation et l’énergie du groupe revient à de la pure dépense d’énergie qui n’influence en rien la qualité du plan (quand bien même ils seraient hautement motivés à l’idée d’aller « avec le flow » vers un lieu et une activité qu’ils ignorent encore).

En effet :

P = (A + B1x + B2x )/3 + e

Soit donc P= 0 + (0 x) + (0 x) + e

Donc P = e

Ainsi, la fonction du mauvais plan latin devient égale au terme d’erreur (forcément négatif : le réel déçoit toujours). Votre degré d’enthousiasme n’y changera rien.

Moralité, vérifiez bien les paramètres du plan avant de vous retrouver piégés. S’ils sont tous nuls… fuyez !

Bonne continuation!

…. Vous ne comprenez toujours pas? Prenons un autre exemple : à la question « En pleine campagne pour les législatives, Emmanuel Macron doit il révéler au JT de FRANCE 2 son ascendance reptilienne ? », un simple calcul permet de vérifier s’il s’agit d’un bon ou d’un mauvais plan :

A : 100% (20h15)

B1 : 100% (Les studios du JT de FRANCE 2)

B2 : 100% (rendre publique son certificat génétique, la généalogie de la caste reptilienne à laquelle il appartient, retirer son exosquelette et exhiber cette langue de reptile à l’origine de son zozotement)

X : 100% (à la recherche d’une majorité aux législatives, Emmanuel Macron est extrêmement motivé pour faire le buzz)

e : -2,5% (quelques aléas peuvent influer sur la précision statistique tels que le crash d’une météorite ou une grève du service publique).

Soit P= (1+1*1+1*1)/3 – 0.025

P= 0.975 soit 97,5%

Conclusion : la révélation de l’identité reptilienne d’Emmanuel Macron en plein JT de FRANCE 2 est clairement un bon plan ! CQFD.

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